Les Landes de Gascogne
Les Landes de Gascogne
Elles évoquent cette immense forêt de pins maritimes qui s’étend sur plus de 1 million d’hectares, la plus grande forêt de France et l’une des plus grandes d’Europe. Il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, si le pin est déjà présent depuis 2000 ans, il n’a été généralisé artificiellement qu’au XIX° siècle.
Auparavant, l’espace s’ouvrait sur des horizons à perte de vue. Les Landes, recouvertes par l’alios (sable quartzeux) et la garluche (minerai de fer) et dont l’eau ne s’évacuait pas du fait du barrage du cordon dunaire littoral, étaient humides, marécageuses et insalubres. Les lagunes, étendues d’eau saumâtre, parsemaient le paysage. Pourtant vivait là une société agropastorale d’autosubsistance : les bergers, perchés sur des échasses, surveillaient leurs troupeaux sur les vaines pâture, terrains collectifs. Les moutons étaient essentiellement élevés pour fertiliser le sol où l’on cultivait le seigle et le millet, base d’une maigre alimentation. Le paludisme sévissait.
De tous temps les seigneurs locaux ont essayé d’assainir les landes mais il faut attendre le XIX° siècle où Jules François Hilaire Chambrelent et Henri Crouzet, ingénieurs des Ponts et Chaussées, brevetèrent leurs techniques d’assainissement durable, expérimentées sur plusieurs centaines d’hectares, grâce aux creusements de crastes (fossés), à l’édification de baradeaux (talus) et aux puits filtrants, pour transformer le marais en terre arable et forestière favorable au pin maritime dont on pouvait tirer une économie substantielle. L’assainissement évitera la mortalité due au paludisme.
Napoléon III promulgua alors, le 9 juin 1957, la loi relative à l’assainissement et à la mise en culture des Landes de Gascogne. Elle comprend 10 articles dont les principaux sont :
1 – Les communes doivent assainir les communaux, d’une superficie totale de 408.000 ha, par drainage selon les techniques de Chambrelent et Crouzet, ingénieurs des Ponts et Chaussées.
2 – Les communes doivent vendre aux enchères leurs communaux à des propriétaires privés, à raison d'un douzième chaque année pour ne pas brusquer cette réforme foncière.
3 – Les propriétaires ont à leur charge de rentabiliser les sols par le boisement, le pin maritime étant l’essence la plus adaptée (300.000 ha). 25.000 ha sont consacrées au chêne, 20.000 au chêne liège, 30.000 aux cultures diverses, le reste étant consacré aux pacages, chemins, fermes, etc.
4 – Pour desservir ces forêts, des routes dites agricoles seront construites et entretenues par l’État. Les communes fourniront gratuitement les terrains nécessaires.
Cette loi, que personnellement je qualifie de coloniale, inquiéta en premier lieu les bergers qui y virent la disparition des vaines pâtures et les élus locaux qui pourtant obtempérèrent. La bourgeoisie bordelaise et parisienne fut la première à acquérir les terrains assainis. La privatisation des communaux et l’afforestation s’étala jusqu’en 1914. Les propriétaires landais manifestèrent soutenus par les bergers qui mirent par endroits le feu à la forêt. Les élus craignirent une révolution qui ne se produisit pas, la société landaise héritée du métayage – forme d’exploitation agricole où le propriétaire s’attribuait le 4/5° des récoltes – étant ainsi faite que les métayers ont appris à se taire.
La forêt ainsi créée eut raison de la civilisation agropastorale et donna lieu à l’exportation du bois et à l’industrie du gemmage, récolte de la résine dans des barriques, transformée dans des ateliers artisanaux en essence de térébenthine et en colophane. La vie des résiniers, payés au poids récolté, était rude. Il fallait entailler l’écorce des pins à l’aide de « hapchòts » tenus à bout de bras ou perchés acrobatiquement sur des « pitèirs » et disposer les pots de résine qui étaient vidés par les femmes dans des barriques. On entend parler souvent de « cabanes de résiniers » pour évoquer leurs gîtes en pleine forêt. Dans l’entre deux guerres de violentes révoltes de métayers et de résiniers éclatèrent dans les Landes.
Plus tard, dans les années 1945, l’industrie papetière ouvrit les usines de cellulose à Tartas et à Mimizan qui employèrent environ 300 ouvriers chacune, la matière première étant le pin maritime. À l’origine, créée par la famille Navarre, la papeterie de Tartas où mon père, ingénieur de l’École Centrale de Paris, fut directeur technique, passa aux mains de Saint Gobain. Lourdement endettée et promise à fermeture, elle fut reprise par une société canadienne puis par une société américaine qui la transforma en bioraffinerie devenue leader mondial en termes environnementaux.
Le gemmage a disparu et les pots de résine servent aujourd’hui de pots de fleurs ou de cendriers. La sylviculture s’est modernisée pour obtenir les meilleurs rendements à l’hectare et le pin maritime est commercialisé, y compris à l’export, dans les domaines de la papeterie, de la fabrication de panneaux de particules, de poteaux, de contreplaqués, de lambris, parquets, menuiseries, etc. La récolte de pins s’élève à 8 millions de m3/an.
Aujourd’hui l’on défriche encore, on assainit, on assèche les lagunes résiduelles pour la culture spéculative du maïs.
Que dire en matière d’écologie ? Les landes humides et lagunaires étaient plus riches en biodiversité que ne l’est la forêt artificielle monospécifique. Ne parlons pas du maïs fort consommateur de pesticides et d’herbicides. Cependant, la forêt landaise stocke le CO2 (aux alentours de 60 tonnes/ha). Compense-t-elle les émissions, en particulier celles de la filière bois ? Tout ce que je peux dire, par expérience, c’est qu’il fait bon marcher dans la forêt où l’on s’oxygène.
Lagune
Vert d’eau, vertu dévêtue de tes prunelles
timides ondines, ondes de sylphides glacées
frimas des brumes de tes cheveux
d’ange
mais l’ange en langes, en nage
vapeur des peurs isolées, désolées
elfes des feu follets de joie, d’artifice,
éteints
étincelles de Saint Elme, phare effaré, noyé
vers luisants séduisant
mes nuits
lampyre, vampire noctambule, ma bulle
d’eau
Vert d’eau, vertu dévêtue de tes prunelles
frimas des brumes de tes cheveux chenus
prêle docile, frêle molinie
molle au vent violent volant
mes rêves
trêve
oyats et mousse douce ton sexe
complexe, perplexe, prend ma main
mes deux mains sans lendemain, landes maintes fois
asséchées, léchées, jusqu’au sel
gemme
j’aime, nu devenu, ton ombre décombres
ersatz de lune pleureuse douloureuse
des sèves de décembre, ambre cendrée
des ors
de tes décors
Oyats et mousse douce ton sexe
j’aime
nu, devenu osmonde
faconde désespérée des secrets humides
midis aqueux d’arondes à queues nacrées, sacrées
sacrifiées au soleil sec levant
la queue
Désert, des airs d’os monde
noir
brûlé laid
oh laitance de l’enfance en face
de mes yeux quand la dernière goutte
je goûte chassieux des chagrins grinçants
par tes abandons
bandons
bandons
jusqu’à plus soif, jusqu’à plus d’eau, plus jamais
je t’aimais, mais, mais, mais
Damy
Le pin des Landes
Théophile
Gautier (1811-1872), España
On ne voit en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ;
Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ce qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.
Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !
Echo
Fin décembre 1999, le cyclone Klaus a décimé plus de 200.000 hectares de la forêt de pins des Landes qui en compte environ 1 million. En juillet 2010, le scolyte (coléoptère xylophage) en a profité pour ronger 1,5 millions de mètres cubes de bois sur pied. En 2022 des centaines d’hectares partirent en fumée à cause du réchauffement climatique. Je ne peux penser qu’il ne s’agit là que de fléaux épisodiques.
Bientôt, je ne verrai qu’une lande déserte
Quand les vents violents, voulant saigner à blanc
La forêt de papier, auront sonné l’alerte
Aux hommes tant épris des profits du pin franc.
Le soldat fantassin en mon rêve s’arc-boute
Sous les asseaux du ciel, ouragans du Grand Tout,
Et finit par casser. De l’armée en déroute,
La raison du climat en est venue à bout.
La résine a séché, serpente Mélusine
Qui ne sifflera plus que dans du sable blond
Sans pouvoir rebâtir la plus petite usine.
La Fortune aura fait aux richesses faux bond.
L’aède est comme un fou, déclamant à la ronde
Sa prophétie impie, oracle de la mort.
Il faut qu’il ait à l’âme une frayeur que gronde
La vérité des vers pour le peuple qui dort.
Damy
Sur l’airial de Belot
Damy
Sauf erreur la tempête qui dévasta les Landes de Gascogne se déroula fin décembre 1999 "je l'ai subie !" et non en "janvier 1999" comme écrit ici. Bravo pour le texte.
RépondreSupprimerMerci bien. Je corrige.
SupprimerDans l'amphore antique se cognent et s'entortillent les mots du poète.
RépondreSupprimerTant que le fil des mots tisseras, la vie t'emportera plus loin plus loin
Merci beaucoup, Isabelle. La vie m'emportera jusqu'au bout du voyage. Le terminus n'est pas encore annoncé et c'est tant mieux car j'ai encore beaucoup de choses à découvrir.
Supprimer